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Oubliez l’excuse des « brebis galeuses » responsables de la torture de détenus à Abou Ghraib et Guantanamo. Dans son film « Torture Made in USA », la journaliste Marie-Monique Robin (qui a déjà signé l’enquête « Le Monde selon Monsanto ») démontre comment cette pratique a bien été encouragée par l’équipe Bush-Cheney.
Le film a reçu le prix Olivier Quemener-Reporters sans frontières au Figra, le 17e Festival international du grand reportage d’actualité, dont Rue89 était partenaire.
Tourné au moment de la dernière campagne présidentielle américaine, ce film coup de poing n’a jamais été diffusé à la télévision. Canal+ l’avait programmé en mars 2009 mais, après avoir accepté d’en prolonger la durée de 52 à 85 minutes, la chaîne a refusé de payer les 30 000 euros d’archives télé nécessaires.
Après bien des péripéties, le site Mediapart a obtenu, grâce à 20 000 euros avancés par un mécène, le droit de le diffuser pendant deux mois sur Internet, cet automne. Le même mécène pourrait financer son édition en DVD.
Les rouages de l’administration Bush ont légitimé la torture
En attendant, il fallait être au Touquet-Paris Plage (Pas-de-Calais) ce jeudi matin pour découvrir ce film, qui décrit comment quelques hiérarques de l’administration Bush (au premier rang desquels le vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et l’Attorney general John Ashcroft) ont décidé de s’affranchir des conventions de Genève de 1949 et de la loi américaine, tout en affirmant le contraire au grand public.
Dans une édifiante vidéo amateur, tournée par un participant à une réunion à Camp David le 15 septembre 2001, tout juste après les attaques contre le World Trade Center, on peut pressentir ce qui va suivre. (Voir la vidéo)
Après cette réunion, les services juridiques des différentes administrations concernées s’emploient à étayer le fait que les combattants d’Al Qaeda ne sont pas de « vrais » combattants.
De ces échanges de mémos, émergera le terme de « combattants illégaux », auquel George W. Bush et ses ministres auront beaucoup recours. Seul Colin Powell, au département d’Etat, était contre le recours à la torture, mais son ministère a été écarté de ces débats dès février 2002.
Marie-Monique Robin, qui prend comme fil rouge les auditions des responsables devant le Congrès, a réussi à interviewer de nombreux témoins de l’époque, tous déchargés depuis de leurs fonctions.
« Je reconnais très clairement que nous avons torturé »
Parmi eux, le général Ricardo Sanchez, qui a commandé la force multinationale en Irak en 2003 et 2004. Dans le film de la journaliste française, il passe aux aveux, sans détours :
« Je reconnais très clairement que nous avons torturé, que nous avons maltraité des gens. Cela restera à jamais une défaite stratégique pour notre pays, et il sera très difficile pour nous de retrouver l’autorité morale que nous avions avant de nous être éloigné des conventions de Genève. »
Dans un entretien à Mediapart, Marie-Monique Robin explique comment elle a obtenu cette interview, au bout de six mois d’acharnement.
Sinon, Dick Cheney (qui s’est inspiré des méthodes de torture employées en Egypte par le régime Moubarak contre les Frères musulmans) n’a pas répondu à son e-mail. Donald Rumsfeld lui a fait dire qu’il était trop occupé. Et si elle a joint au téléphone Alberto Gonzales, qui coordonnait à la Maison Blanche l’aspect juridique du recours à la torture (avant de devenir Attorney general), c’est pour essuyer un refus. (Voir la vidéo)
Selon Marie-Monique Robin, les tortionnaires en chef Dick Cheney, Donald Rumsfeld et leurs amis ne risquent pas d’être jugés un jour pour avoir violé les lois internationales et américaines. Pour une raison simple :
« Les démocrates sont désormais à la présidence avec Obama, mais sous l’ère Bush, ils avaient le pouvoir de s’opposer au Congrès. Or, ils ont fait preuve d’inertie et n’ont donc pas intérêt à ce que des poursuites soient lancées. »
L’administration Obama s’est d’ailleurs prononcée contre. Mais l’un des protagonistes du film de la journaliste française, John Yoo, qui travaillait sous les ordres d’Ashcroft, est poursuivi.
A LA UNE14/06/2009 à 19h43
Etats-Unis : John Yoo, poursuivi pour avoir légalisé la torture
Malgré les hésitations d’Obama, l’étau judicaire se resserre sur ceux qui ont autorisé la torture dans la « guerre contre le terrorisme ».
John Yoo, juriste américain poursuivi pour avoir légitimé l’usage de la torture (Colin Brale/Reuters)
Jon Yoo est un tortionnaire. Il n’a pas plongé lui même la tête de suspects dans une baignoire, ou lâché des chiens sur eux après les avoir privé de sommeil, mais c’est pire.
C’est un juriste distingué qui, lorsqu’il travaillait au département de la Justice sous l’administration Bush, a signé des documents autorisant ce type de pratiques. En janvier 2008, un condamné, José Padilla, a porté plainte contre lui.
Alors que l’administration Obama s’est prononcé contre l’ouverture de poursuites, pour faits de torture, à l’endroit des agents de la CIA dans le cadre de la lutte antiterroriste, un juge fédéral de San Francisco, Jeffrey White, a non sans courage, vendredi, jugé recevable la plainte de José Padilla. Difficile de lui prêter des arrières-pensées politiques : il a été nommé par l’administration Bush.
José Padilla, condamné pour avoir tenté de monter une cellule d’Al Qaeda
C’est une première, et elle sera à suivre de près : derrière les juristes qui ont rédigé les circulaires pro-torture se trouvent d’autres « tortionnaires » plus importants encore. Le site Salon.com avait recensé treize noms, parmi lesquels ceux de George W. Bush et Dick Cheney...
José Padilla, vous vous en souvenez peut-être, est cet américain né à Brooklyn, converti à l’islam, qui avait été arrêté dans l’aéroport O’Hare de Chicago. Il était alors soupçonné de préparer une « bombe sale » radioactive.
Il a ensuite été interné pendant quatre ans sur une base de la Navy, dont deux en isolement complet. Il affirme qu’il y a été torturé, par privation de sommeil, notamment. En 2007, il a finalement été jugé et condamné pour appartenance à une organisation terroriste : il était suspecté de chercher à monter un réseau d’Al Qaeda à Miami. Plus rien à voir avec la « bombe sale ».
Si José Padilla a subi des mauvais traitements, ils étaient alors « couverts » par le pouvoir. Notamment par les circulaires, rédigées entre 2001 et 2003 par John Yoo.
Ce dernier travaillait au Bureau du conseil juridique (« Office of Legal Counsel ») auprès de l’« attorney general » (le ministre de la Justice) John Ashcroft. Dans le petit confort de son bureau de Washington, penché sur ses documents juridiques, il a défini la torture « interdite », en lui donnant un sens très restreint :
« La victime doit subir une peine intense ou une souffrance comparable à celle qui résulte d’une blessure physique si sévère qu’elle entrainerait probablement la mort, la perte d’un organe, ou un dommage permanent résultant de la perte d’une fonction corporelle importante. »
Yoo a évidemment aussi prévu l’immunité pour les auteurs de toutes les autres pratiques, autorisées par défaut.
Selon le juge, « les juristes sont responsables des conséquences de leur conduite »
Il y a un peu plus d’un an, José Padilla a introduit une poursuite au civil contre Yoo pour « privation de ses droits constitutionnels ». Il ne réclame qu’un dollar de dommages et intérêt, mais aussi une déclaration formelle du gouvernement américain selon laquelle sa détention s’est faite en violation des principes de la constitution.
Dans son arrêt, le juge White déclare recevable sa plainte :
« Comme tous les fonctionnaires, les juristes au service du gouvernement sont responsables des conséquences prévisibles de leurs conduite. »
John Yoo, aujourd’hui professeur de droit à l’université de Berkeley, s’était défendu l’an dernier des accusations dans une tribune publiée par le Wall Street Journal. Selon lui, des actes décidés dans le cadre d’une « guerre » ne peuvent être poursuivis devant des tribunaux de droit commun :
« En novembre 2002, selon la presse, un drone Predator a tué deux leaders d’Al Qaeda qui roulaient sur une route dans le désert du Yémen. L’un d’eux était un Américain, Kamal Derwish, suspecté de diriger une cellule terroriste à Buffalo.
Si la poursuite de Padilla devait aboutir, la famille de Derwish pourrait alors poursuivre en dommages et intérêts toutes les personnes de la chaîne de commandement, depuis l’agent qui a appuyé sur le bouton ».
L’administration Obama hésitante sur la conduite à tenir
L’affaire s’inscrit dans un bras de fer beaucoup plus vaste, qui oppose l’ancienne administration à ceux qui souhaitent faire toute la lumière sur ce qui s’est passé en matière de torture pendant les années Bush. Mais Barack Barack Obama, soumis à des pressions contradictoires, donne aujourd’hui l’impression de tanguer.
D’un côté, il condamne fermement la torture (il s’est même excusé au nom du peuple américain) ; il a interdit certaines pratiques comme le « waterboarding » (simulacre de noyade) ; il a accepté de rendre publics, en mars dernier, neuf documents jusque-là secrets concernant l’usage de la torture.
De l’autre, le département de la Justice fait tout pour que les anciens agents soupçonnés de torture ne soient pas poursuivis ; Obama a avalisé le fait que des suspects puissent être détenus indéfiniment sans être inculpés et jugés, et le Pentagone continue de renforcer le « Guantanamo afghan », prison bâtie sur la base aérienne de Bagram...
Et selon certains journalistes américains, si le « waterboarding » a disparu, d’autres techniques d’interrogatoires dégradantes subsitent, comme la privation de sommeil.