Dans un précédent article [1], j’expliquais que les partisans des thèses conspirationnistes sur le 11 septembre (tours du World Trade Center piégées par des explosifs, missile sur le Pentagone, etc.) mettaient en avant des arguments qui n’avaient strictement rien de scientifique.
Aveuglés par des considérations d’ordre géopolitique, les truthers ne parviennent toujours pas à accepter les explications fournies par la communauté scientifique, dans chacun des domaines concernés par les enquêtes : mécanique des structures, métallurgie, chimie, sismique, etc… Et cela dure maintenant depuis plus de dix ans !
Tout récemment, une infirmation cinglante et sans équivoque des « preuves scientifiques » apportées par la prétendue élite intellectuelle de leur mouvement, devrait néanmoins pousser les adeptes de ces théories fantaisistes à s’interroger. Non seulement sur le niveau scientifique de leurs ‘experts’ autoproclamés, bien sûr, mais aussi sur l’honnêteté intellectuelle de ces arlequins dont ils reprennent sans aucun esprit critique les assertions.
La litanie de la « nanothermite »
Depuis 2007, Steven E. Jones, un physicien américain considéré comme un des leaders du 911 truth movement aux Etats-Unis, parcours le monde en affirmant posséder des « preuves » du piégeage des tours du World Trace Center par des matériaux incendiaires et/ou explosifs de dernière génération, connus des seuls militaires et à base de nanothermite [2].
Ses preuves résideraient dans l’extraction des poussières du WTC de ce qu’il a appelé des ‘chips’, de petites écailles comportant deux couches, une grise, l’autre rougeâtre. Pour lui, la couche rouge serait de la nanothermite n’ayant pas réagi. Avec huit autres coauteurs, il est parvenu à publier un article dans une revue de l’éditeur Bentham [3] – censée posséder un comité de lecture – explicitant différents tests et analyses censés prouver ses affirmations.
Très vite, cette publication a été montée au pinacle par les truthers, notamment en France. Sur le plateau télé de Franz-Olivier Giesbert (‘Vous aurez le dernier mot’ – France 2 – le 11 septembre 2009), Eric Raynaud, auteur d’un livre conspirationniste reprenant toutes les fadaises sur le sujet, ira jusqu’à affirmer que cette démonstration avait « autant de valeur que le théorème de Thalès ».
Pourtant, très vite aussi, les faiblesses de l’article avaient été pointées.
Des doutes dès la parution…
En effet, une analyse minutieuse des résultats fournis conduisait inévitablement à supposer que ce qui était présenté comme un incendiaire et/ou un explosif « super puissant », pourrait n’être finalement que de la simple peinture. J’écrivais sur mon site internet que cette hypothèse était plausible – et même probable – quelques jours seulement après la parution de l’article de Jones en 2009. Les analyses microscopiques et calorimétriques présentaient des résultats tout à fait en adéquation avec ce que l’on pouvait attendre pour une classique peinture anticorrosion [4].
Par la suite, deux spécialistes français en matériaux énergétiques et explosifs ont pointé les incohérences majeures de l’article (méthodes, interprétations et conclusions !), dans le numéro hors série consacré aux rumeurs sur le 11-Septembre de la revue Science… et pseudosciences [5]. Pour eux, l’article n’avait manifestement pas été relu correctement sur le plan scientifique.
Des dénégations mensongères
Dès la publication de l’article dans la revue Bentham et malgré la vraisemblance de l’hypothèse « peinture », les neuf coauteurs ont pris un malin plaisir à ridiculiser les objections de leurs contradicteurs. Ils ont ainsi proposé nombre de contre-arguments dans des articles publiés sur des sites conspirationnistes ou au travers de vidéos Youtube.
Steven E. Jones, par exemple, a présenté lors d’une conférence à Sydney les résultats d’un essai mené sur des écailles de peinture provenant des tours. Il avait pu prélever lui-même ces échantillons sur les poteaux en acier d’un mémorial dédié au WTC, pour comparer les analyses à celles obtenues sur leschips. Sauf que, bien évidemment, plusieurs types de peinture avaient été utilisés pour recouvrir les dizaines de milliers de tonnes d’acier utilisées lors de la construction des tours. Or, sûrement dans un élan d’honnêteté intellectuelle un peu poussif, au lieu de comparer parmi les deux jeux de résultats de son article initial celui qui coïncidaient parfaitement avec celui de la peinture prélevée, il a présenté lors de sa conférence… celui qui ne correspondait pas du tout !
Le premier des auteurs de l’article, Niels Harrit, s’est aussi répandu un peu partout sur la toile pour nous expliquer que ces chips ne pouvaient décidemment pas être des restes de peinture provenant des poteaux métalliques. Lui, a prétexté que cette peinture contenait du magnésium et qu’avec ses coauteurs, il n’avaitjamais retrouvé cet élément chimique dans ses analyses. Une affirmation totalement incroyable, qui laisse à penser que le principal auteur de l’article n’a même pas relu (écrit ?) sa propre publication ! Le magnésium apparaît en effet clairement sur le spectre de la figure 14 de son article…
Toutes les références de ces récusations spécieuses, ressemblant plus à des tentatives désespérées de conjurer la déconfiture annoncée qu’à une analyse rationnelle des faits, sont données en post-scriptum de la critique détaillée de l’article disponible sur mon site internet [4].
Et la confirmation vint, cinglante…
Récemment, un autre type de peinture avait été identifié dans la volumineuse documentation du NIST [6] comme pouvant fournir en grande quantité des écailles semblables au deuxième type de chips trouvées par Jones et Harrit. Vu la composition de cette peinture, qui correspondait de façon confondante avec les données de leur article, cela ne laissait déjà plus guère de doute sur la provenance de ces chips [7].
Néanmoins, Jim Millette, un scientifique américain spécialisé dans l’étude de poussières et d’éléments microscopiques, a souhaité procéder à des examens plus poussés sur les écailles rouges/grises afin de lever toute ambiguïté. Les conclusions de ses analyses ont été dévoilées en février 2012 lors d’un congrès de forensic science, regroupant des spécialistes de l’investigation scientifique [8]. Elles sont sans appel :
Les chips rouge/gris trouvées dans la poussière du WTC sur quatre sites à New York sont consistantes avec un acier au carbone revêtu d'une résine époxy qui contient principalement des pigments d’oxyde de fer et de l’argile de kaolin.
Il n'existe aucune preuve de la présence de particules élémentaires d'aluminium de quelque taille que ce soit, la couche rouge des fragments rouge/gris n'est donc pas de la thermite ou de la nanothermite
Plus de détails sur les tests pratiqués sont disponibles dans un rapport intermédiaire qui servira de base, en plus du congrès, à un article pour une revue scientifique [9].
Or, la composition de la peinture appliquée sur les poutres treillis soutenant les planchers des Tours Jumelles (110 étages chacune), a été documentée dans le rapport du NIST en 2005 : kaolin (Aluminum Silicate) et oxyde de fer (Iron Oxyde) constituent 96 % du pigment, le tout mélangé à une résine époxy.

Autrement dit, nous avons désormais la confirmation scientifique que, depuis 2007, Jones et ses thuriféraires trompent délibérément leur auditoire en tentant de faire faire passer pour un incendiaire et/ou explosif « super puissant » et « super secret », de simples écailles de peinture anticorrosion, une protection appliquée sur l’acier des tours jumelles dès leur construction. Exquis.
La seule question qui reste : combien de temps, encore, les truthers continueront-ils à gober les mensonges de ces saltimbanques ?
Oui, on peut vraiment dire les grands leaders du truth movement ont pris les gens pour des benêts en continuant à diffuser allègrement leurs allégations alors que, quelques jours seulement après la publication de l’article, l’hypothèse « peinture » était avancée et argumentée. Pour masquer leur gaffe, les auteurs de l’article ont persévéré jusqu’au bout dans la tromperie en mentant de façon éhontée sur les éléments présents dans ces chips. Alors que la publication de Jones et Harrit est disponible gratuitement auprès de l’éditeur de la revue, le collector de ce plantage scientifique mémorable est toujours à la vente à ce jour sous forme papier sur le site de Richard Gage [10].
Tout cela démontre de façon éclatante que ces grands leaders du mouvement conspirationniste sont non seulement de piètres scientifiques, un secret de Polichinelle bien sûr déjà largement éventé [1], mais aussi des profiteurs sans scrupule de la naïveté des truthers.
Si seulement cet épisode rocambolesque et risible amenait les personnes qu’ils ont abusées à ouvrir les yeux…
[1] http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/11-septembre-l-imposture-des-98122
[2] Un incendiaire très puissant, voir numéro 296 de Science… et pseudosciences : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1698
[3] Bentham est un éditeur de revues scientifiques (certaines ‘open’ c'est-à-dire accessibles gratuitement et à tous) qui a parfois connu des soucis de relecture de ses articles (http://www.newscientist.com/article/dn17288-spoof-paper-accepted-by-peerreviewed-journal.htmlc). L’article de Harrit et Jones se trouve à l’adresse suivante : http://www.bentham-open.org/pages/content.php?TOCIEJ/2008/00000002/00000001/35TOCIEJ.SGM
[4] http://www.bastison.net/RESSOURCES/Critique_Article_Harrit.pdf
[5] http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1626
[6] National Standard Institute of Technology, chargé aux Etats-Unis de l’enquête après les effondrements des tours du WTC.
[7] http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1810
[8] http://www.aafs.org/aafs-2012-annual-meeting
[9] http://911myths.com/9119ProgressReport022912_rev1_030112web.pdf
[10] http://www.shop.ae911truth.org/Article-Active-Thermitic-Materials-Discovered-Harrit-et-al-AR-THERDUST-SPIR-PP.htm