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A ce moment de sa carrière, George Bush entra dans une phase d’association étroite avec, à la fois, Richard Nixon et Henry
Kissinger. Comme nous le verrons, Bush fut un membre du cabinet de Nixon depuis le printemps 1971 jusqu’au jour où
Nixon démissionna. Nous aurons l’occasion de voir Bush, au cours de nombreux circonstances, agir littéralement comme le
porte-parole de Nixon, spécialement dans les situations de crise internationale. Au cours de ces années, Nixon fut le patron de Bush, lui fournissant ses désignations et le pressant de chercher des postes plus importants à l’avenir.
En certaines occasions, toutefois, Nixon fut évincé par d’autres dans sa quête des faveurs de Nixon. Puis il y eut Kissinger, de loin le personnage le plus puissant du régime de Washington à l’époque, et qui devint le patron de Bush lorsque ce dernier devint ambassadeur des Etats-Unis aux Nations unies à New York. Plus tard, durant la campagne de 1980, Bush allait proposer à Kissinger un poste de secrétaire d’Etat au sein de son administration.
Bush gagnait désormais plus de 1,3 million de dollars (1), mais le fait est qu’il se retrouvait maintenant sans emploi et soucieux, cependant, d’assumer sa prochaine fonction officielle, pour emprunter la prochaine étape de ce que, dans la carrière d’un sénateur romain, on appelait le cursus honorum, la course aux honneurs, la carrière patricienne, car il sentait que le monde le lui devait bien.
Nixon avait promis à Bush un boulot politique en or, à la fois attrayant et prestigieux, au sein de l’exécutif, et il était temps désormais que Nixon s’exécute. Le problème de Bush, c’est qu’à la fin des années 70, Nixon était davantage intéressé à la façon dont un autre Texan pouvait être utile à son administration. Cet autre Texan était John Connally, qui avait joué le rôle de nemesis (ruine) pour Bush lors des élections qui venaient de se terminer, et ce en raison des encouragements et du soutien décisif qu’il avait accordés à la candidature de Bentsen. Nixon était alors fasciné par la perspective d’inclure le démocrate de droite Connally dans son cabinet afin de se doter lui-même d’une double patine de partisans, tout en mettant l’accent sur les dissensions qui régnaient parmi les démocrates, renforçant ainsi ses propres chances de mettre une seconde fois en pratique sa stratégie sudiste au cours des élections de 1972.
Le slogan en vogue parmi le cercle intime de Nixon à cette époque était « Le patron est amoureux » et l’objet de son affection était Big Jawn (la grosse voix, surnom de John Connally, à cause de son accent texan). Nixon prétendait qu’il n’était pas heureux avec la stature de son cabinet actuel et déclara à son conseiller en politique domestique John Ehrlichmann, en automne 1970, que « Chaque cabinet devrait avoir au moins un président potentiel dans ses rangs.
Le mien n’en a pas ». Nixon avait essayé de recruter des démocrates de pointe auparavant, demandant au sénateur Henry
Jackson de devenir secrétaire à la Défense et offrant le poste d’ambassadeur aux Nations unies à Hubert Humphrey.
Dans les heures qui suivirent la fermetures des bureaux de vote lors de la course au Sénat au Texas, Bush reçut un appel
de Charles Bartlett, un journaliste de Washington qui faisait partie du réseau de Prescott Bush. Bartlett tuyauta Bush sur
le fait que le secrétaire au Trésor David Kennedy quittait son poste et il le pressait d’essayer de décrocher le poste au plus vite. Bush appela Nixon et lui transmit sa requête.
Après cela, il attendit auprès du téléphone. Mais il fut vite clair que Tricky Dick était sur le point de recruter John Connally et, avec lui, peut-être, les importants votes électoraux du Texas pour 1972. Secrétaire au trésor ! L’un des trois ou quatre principaux postes du cabinet ! Et cela, avant que Bush ait reçu la moindre chose pour tous ses efforts inutiles au cours de la campagne de 1970, mais le boulot était sur le point d’être attribué à Connally. Durant deux décennies, on imagine les lamentations de Bush.
Ce changement de personnel n’était pas totalement non préparé. Au cours de l’automne 1970, quand Connally faisait
campagne pour Bentsen contre Bush, Connally avait été invité à participer à lma Commission Ash, un groupe d’étude sur la
réorganisation du gouvernement, présidé par Roy Ash. « Cet accès à la Maison-Blanche était dangereusement susceptible de
nuire à George Bush », s’était plaint le président du GOP texan, O’Donnell. Un ami personnel de Bush dans l’équipe de la Maison-Blanche, nommé Peter Flanigan, fit parvenir au chef du personnel de la Maison-Blanche, H.R. Haldemann, une note
ainsi libellée : « Connally est un implacable ennemi du parti républicain au Texas et, par conséquent, attirant comme il peut l’être aux yeux du président, nous devrions éviter de l’utiliser à nouveau. » Nixon voyait en Connally une propriété politique attirante et il ne tarda pas à le désigner à la principale commission de la Maison-Blanche pour évaluer les renseignements : « Le 30 novembre, lorsque fut annoncée la désignation de Connally à la Commission de conseil en matière de renseignements étrangers, le vieux sénateur du Texas, John Tower, et George Bush étaient au même moment en contact avec la Maison-Blanche pour exprimer leur ‘extrême’ détresse à propos de cette nomination.(2) Tower était indigné parce que, un peu avant cela, Ehrlichman lui avait promis que Connally ne recevrait pas un poste important. Les doléances personnelles de Bush étaient encore plus poignantes : ‘Il était sans boulot et il lui en fallait un. En tant que candidat battu au Sénat, il espérait et s’attendait pleinement à recevoir un boulot important dans l’administration. Pourtant, l’administration semblait attacher davantage d’attention au démocrate même qui l’avait lancé sur le marché de l’emploi. Que se passait-il donc ?
Bush avait raison de se poser la question. »(3)
La désignation de Connally pour remplacer David Kennedy comme secrétaire au Trésor fut conclue durant la première semaine de décembre 1970. Mais elle ne pouvait être annoncée sans provoquer un soulèvement parmi les républicains texans tant que quelque chose n’aurait été fait en faveur de ce canard boiteux de George. Le 7 décembre, le serviteur de Nixon, H.R.
Haldemann, écrivit des notes qu’il s’adressa à lui-même à la Maison-Blanche. La première disait : « Connally en place. »
Puis il y eut : « Il faudrait quand même faire quelque chose tout de suite pour Bush. » Bush pouvait-il devenir directeur de la NASA ? Qu’en serait-il de l’administration des Petites Entreprises ? Ou de la Commission nationale républicaine ? Ou alors, il aimerait peut-être le poste d’agent de liaison au Congrès avec la Maison-Blanche au Congrès, ou peut-être sous-secrétaire au Commerce ? Comme le dit un compte rendu : «Puisqu’aucun boulot ne lui venait immédiatement à l’esprit, Bush fut assuré qu’il allait débarquer à la Maison-Blanche en tant que haut conseiller à la présidence ou quelque chose de ce genre, en attendant qu’un autre emploi soit disponible. »
Bush fut convoqué à la Maison-Blanche le 9 décembre 1970 pour une rencontre avec Nixon et un entretien à propos d’un poste d’assistant à la présidence « avec un large éventail de responsabilités générales non spécifiées », selon une note de
la Maison-Blanche rédigée par H.R. Haldemann. UA un certain moment de son marchandage avec la Maison-Blanche de Nixon, Bush accepta ce poste. Mais il visait également le boulot à l’ONU, prétendant qu’il « y avait un manque de plaidoiries en faveur de Nixon à New York City et dans la zone de New York en général et qu’il pouvait combler cette lacune au sein des cercles sociaux dans lesquels il évoluerait en tant qu’ambassadeur.(4) L’ambassadeur de Nixon aux Nations unies avait été Charles Yost, un message arriva pour dire que Moynihan n’était pas intéressé par le poste. A ce moment, Moynihan décida donc qu’après démocrate qui préparait son départ. Mais la Maison-Blanche avait déjà proposé ce boulot à Daniel Patrick Moynihan, qui l’avait accepté. Mais, apparemment, quelques heures après la rencontre entre Bush et Nixon, il ne voulait pas du poste d’ambassadeur aux Nations unies et, avec un signe de soulagement, la Maison-Blanche offrit ce poste à Bush. La désignation de Bush fut annoncée le 11 décembre, celle de Connally le 14. »(5) En offrant le poste à Bush, Haldemann avait été d’une franchise brutale, lui disant que le boulot, bien que de rang ministériel, n’aurait aucun pouvoir inhérent. Bush, insista
Haldemann, allait prendre ses ordres directement auprès de Kissinger. « J’ajoutai, en guise de commentaire, que si quelqu’un qui avait accepté le boulot ne comprenait pas cela, Henry Kissinger allait lui donner un cours accéléré de vingt-quatre heures sur le sujet », répondit-il, aux dires de Bush. (6)
Le 14 décembre 1970, Nixon déclara à son cabinet et à la direction des républicains au Congrès ce qui avait été mis en œuvre pour quelque temps, que Connally « s’amenait, non seulement en tant que démocrate, mais en tant que secrétaire au Trésor pour les deux années complètes à venir ».(7) Encore plus humiliant pour Bush fut le fait que notre héros reçut l’assistance de Connally. Comme Nixon le déclara au cabinet : « Connally a dit qu’il n’accepterait pas son poste tant que George Bush ne recevrait pas ce qui lui revenait. Je ne sais pas pourquoi George désirait la désignation aux Nations unies, mais il la voulait tellement qu’il l’a obtenue. » Il n’y eut que cette condition préalable de Connally, implicitement, pour décider promptement Nixon à prendre soin du pauvre George. Nixon s’adressa au sénateur Tower, qui assistait à la réunion : « C’est dur pour vous. Je suis pour tout républicain en course. Nous aurons besoin du retour de John Tower en 1972. » Tower répondit : « Je suis un
homme pragmatique. Philosophiquement, John Connally est du même bord que vous. Il a un discours clair et persuasif. Pour
une fois, je le défendrai contre ceux qui, dans notre parti, pourraient ne pas l’aimer. »(8)
Il y a des preuves que Nixon considérait Connally comme un successeur possible à la présidence. L’approche par Connally
de la crise monétaire internationale qui sévissait à l’époque était la suivante : « Tous les étrangers font ce qu’ils peuvent pour nous entuber et il est de notre devoir de les entuber d’abord », avait-il dit à C. Fred Bergsten, de l’équipe NSC de Kissinger. La manière idiote dont Nixon gérait cette crise monétaire internationale fut l’une des raisons pour lesquelles il tomba dans le Watergate, et Connally était certainement considéré par les financiers comme une composante importante du problème. Bush fut humilié, dans cet épisode, mais ce n’est rien en comparaison de ce qui allait arriver plus tard à la fois à Connally et à Nixon. Connally allait être inculpé alors que Bush se trouvait à Pékin et, plus tard, il allait devoir affronter une autre humiliation : celle de sa faillite personnelle. Aux yeux de James Reston, Jr., « George Bush allait conserver une antipathie sourde et viscérale à l’égard de Connally, et elle dura bien jusque dans les années 80. »(9) Comme d’autres vont le découvrir au cours de la guerre du Golfe, Bush est rancunier.
Bush comparut devant la Commission sénatoriale des Affaires étrangères pour des auditions sommaires, pour la forme, le 8
février 1971. Il le faisait librement. De nombreux sénateurs avaient connu Prescott Bush et plusieurs d’entre eux étaient même de ses amis. Agissant comme des amis de la famille, ils donnèrent à Bush des conseils amicaux d’un ton qui était congratulatoire et chaud et ils évitèrent toute question embarrassante. Stuart Symington prévint Bush de ce qu’il aurait à faire avec la « dualité de l’autorité » entre son patron nominal, le secrétaire d’Etat William Rogers, et son patron réel, le chef NSC Kissinger. On ne fit référence qu’en passant aux services de Bush dans le cartel pétrolier durant son époque à la Chambre, et Bush nia avec véhémence avoir jamais tenté de « plaire » aux « intérêts pétroliers ». Claiborne Pell déclara que Bush allait accroître le lustre du poste à l’ONU. En matière de politique, Bush dit qu’il serait « logique » que le Conseil de sécurité des Nations unies mène un débat sur les guerres au Laos et au Cambodge, et que c’était quelque chose que les Etats-Unis tentaient d’obtenir depuis quelque temps. Bush pensait qu’un tel débat pouvait être utilisé comme un forum en vue de dénoncer les activités agressives des Nord-Vietnamiens. Aucun sénateur ne demanda à Bush ce qu’il fallait penser de la Chine, mais Bush déclara à des journalistes qui attendaient dans le hall que la question de la Chine faisait pour l’instant l’objet d’une étude
intense. Le Washington Post fut impressionné par « la bonne apparence jeune et agile » de Bush. Bush fut aisément confirmé à son poste.
Lorsque Bush prêta serment plus tard, en février, Nixon, probablement soucieux de le calmer après les retombées de l’affaire Connally, avait rappelé que le président William McKinley avait perdu une élection dans l’Ohio, mais était quand même parvenu à décrocher la présidence. « Mais je ne suggère pas quelle charge vous devriez chercher ni à quel moment », déclara Nixon. La veille, le sénateur Adlai Stevenson III, de l’Illinois, avait déclaré à la presse que Bush était « absolument non qualifié » et que sa désignation avait été « une insulte » aux Nations unies. Bush présenta ses créances le 1er mars.
Ensuite, Bush « élégant et en forme » à 47 ans, emménagea dans une suite de l’hôtel Waldorf-Astoria à Manhattan et s’installa dans son habituel style de vie hyper-cinétique, dirigé par sa thyroïde. Le Washington Post s’étonna de ces «horaires en tourbillon » qui auraient semblé davantage convenir à ces « aspirants politiques que l’on associe généralement aux diplomates». Il se levait chaque matin à 7 heures et montait ensuite son vélo d’intérieur pour 12 minutes d’entraînement tout en prenant à la TV le programme des infos qui, lui aussi, durait 12 minutes exactement. Il expédiait un petit déjeuner frugal et quittait le Waldorf à 8 heures pour se faire conduire à la mission américaine aux Nations unies, à Turtle Bay, où il arrivait généralement à 8 heures 10. Il prenait ensuite les échanges câblés de la nuit chez sa secrétaire, Madame Aleene Smith et se rendait après cela en conférence avec son assistant exécutif, Tom Lais. Plus tard, il y aura des réunions avec ses deux adjoints, les diplomates Christopher Phillips et W. Tapley Bennett, du département d’Etat. Pete Russell aussi l’accompagnait toujours en tant qu ‘agent publicitaire personnel. Pour Bush, une journée de travail de 16 heures était davantage la règle que l’exception. Ses journées étaient remplies d’une série ininterrompue de rendez-vous, d’engagements à des lunches, de réceptions, et soupers officiels – au moins une réception et un souper par jour. Parfois, il y avait trois réceptions par jour – une belle occasion de nouer des relations avec des francs-maçons du même bord venus du monde entier. Bush se rendait également à Washington pour des réunions de cabinet et il tenait en outre des discours d’engagement à travers le pays, particulièrement pour des candidats républicains. « J’essaie de me mettre au lit à 11 h 30 si possible », déclarait Bush en 1971, « mais, souvent, mon calendrier est tellement chargé que je prends du retard dans mon boulot et que je dois en ramener chez moi. » Bush se vanta qu’il était toujours un jouer de tennis en double « assez rude », assez bon pour faire équipe avec des pros. Mais il prétendait préférer le base-ball. Il plaisantait à propos de ses capacités au ping-pong, puisque c’était l’époque de la diplomatie du ping-pong, lorsque l’invitation adressée à une équipe de ping-pong américaine pour qu’elle se rende à Pékin fit partie de la préparation
des relations de Kissinger avec la Chine. Dans les grandes lignes, Bush apparut comme un loyaliste nixonien ultra-orthodoxe. Etait-il un conservateur libéral ? demanda un journaliste. « Les gens au Texas me le demandaient souvent,
durant les campagnes », répondit Bush. « Certains m’ont même catalogué de réactionnaire de droite. J’aime me voir sous les
traits d’un pragmatiste, mais j’ai appris à me méfier d’être étiqueté… Ce que je puis dire, c’est que je suis un partisan ardent du président. Si vous pouvez me dire ce qu’il est, je puis vous dire ce que je suis. » Barbara aimait la suite du Waldorf, et les deux hôtes enthousiastes de la suite ne tardèrent pas à introduire un emploi du temps exigeant composé de réceptions, de soupers et de distractions en tous genres.
Peu de temps après avoir reçu son poste aux Nations unies, Bush reçut un appel téléphonique du secrétaire d’Etat adjoint
aux Affaires du Moyen-Orient, Joseph Sisco, l’un des principaux acolytes de Kissinger. Sisco avait été irrité par certains commentaires de Bush à propos de la situation au Moyen-Orient, lors de la conférence de presse au cours de laquelle il avait présenté ses créances. En dépit du fait que Bush, en tant que fonctionnaire de cabinet, avait un rang supérieur de plusieurs niveaux à celui de Sisco, ce dernier était après tout la voix de Kissinger. Sisco déclara à Bush que c’était lui-même qui s’exprimait sur le Moyen-Orient au nom du gouvernement américain et qu’il allait faire à la fois le discours enregistré et les révélations à propos de cette région. Bush n’insista pas, car telles étaient les réalités des années Kissinger. Henry Kissinger était désormais le patron de Bush même davantage que ne l’était Nixon et, plus tard, comme on se dirigeait vers le scandale du Watergate, en 1973, l’emprise de Kissinger allait même devenir plus absolue encore. Durant ces années, Bush, faisant sous Kissinger son apprentissage dans la diplomatique et la stratégie mondiale, devint un clone virtuel de Kissinger dans les deux sens du terme. D’abord, à un degré important, les réseaux et connexions de Kissinger fusionnèrent avec ceux de Bush même, et c’était le signe avant-coureur de l’administration de 1989 au sein de laquelle le directeur du NSC et le n° 2 du département d’Etat allaient tous deux être des partenaires d’affaires et associés de Kissinger issus de la firme de consultance et de trafic d’influence même de ce dernier. Secundo, Bush assimila la mentalité géopolitique particulière de Kissinger et son approche des problèmes, de style tout britannique, et voici donc désormais l’épistémologie qui va dicter à Bush sa nouvelle façon de traiter les principales questions de la politique mondiale.
Les réseaux Kissinger en question peuvent se résumer sous quatre dénominations. Kissinger était à la fois impérialiste britannique, sioniste, soviétique et communiste chinois dans son orientation, le tout emballé dans un paquet de rapacité, de mégalomanie et de perversion.(9) Kissinger fut l’une des seules personnes au monde qui eut toujours quelque chose à enseigner dans l’une ou l’autre de ces quatre catégories.
La facette la plus essentielle de Kissinger était son côté britannique. Cela signifiait que la police étrangère américaine devait être guidée par la géopolitique impériale britannique, en particulier la notion de l’équilibre du pouvoir: les Etats-Unis doivent toujours s’allier avec la seconde puissance terrestre la plus forte au monde (la Chine communiste) contre la première puissance au monde (l’URSS) afin de préserver l’équilibre du pouvoir. Cela s’exprima dans l’ouverture à Pékin de Nixon et Kissinger, en 1971-72, à laquelle Bush allait contribuer depuis son poste aux Nations unies. L’équilibre du pouvoir, puisqu’il exclut un engagement positif en faveur du progrès économique de la communauté internationale dans son ensemble, a toujours été une recette de nouvelles guerres. Kissinger fut en contact constant avec des agents de la politique étrangère britannique comme Sir Eric Roll, de S.G. Warburg à Londres, Lord Trend, Lord Victor Rothschild, la banque Barings et d’autres.
Le 10 mai 1982, dans un discours intitulé « Réflexions sur un partenariat » et donné à l’Institut royal des Affaires internationales à Chatham House, à Londres, Henry Kissinger exposa ouvertement son rôle et sa philosophie en tant qu’agent britannique d’influence au sein du gouvernement américain durant les années Nixon et Ford :
« Les Britanniques étaient si prosaïquement désireux de coopérer qu’ils se muèrent en participants aux délibérations internes des Américains, et ce, à un degré encore jamais atteint entre des nations souveraines. Durant la période où je fus en poste, les Britanniques jouèrent un rôle essentiel dans certaines négociations bilatérales américaines avec l’Union soviétique – naturellement, ils aidèrent à rédiger le document clé. Lorsque j’étais en poste à la Maison-Blanche, j’ai gardé le Foreign Office mieux informé et plus étroitement engagé que je ne l’ai fait avec le Département d’Etat américain… Dans mes négociations à propos de la Rhodésie, j’ai travaillé à partir d’un projet de document britannique avec des tournures britanniques même si je ne comprenais pas entièrement la distinction entre un document de travail et un document approuvé par le Cabinet. »
Kissinger eut également soin de faire remarquer que les Etats-Unis devaient soutenir les stratégies coloniales et néo-coloniales contre le secteur en développement :
« Les Américains à partir de Franklin Roosevelt ont cru que les Etats-Unis, avec leur héritage ‘révolutionnaire’, étaient les alliés naturels des peuples qui luttaient contre le colonialisme; nous pourrions gagner la fidélité de ces nouvelles nations en nous opposant à, et, à l’occasion, en faisant un travail de sape contre nos alliés européens dans les régions de leur domination coloniale. Churchill, naturellement, résista à ces pressions américaines… Dans ce contexte, l’expérience de Suez est instructive… Notre humiliation de la Grande-Bretagne et de la France à propos de Suez fut un coup très dur pour le rôle de ces pays en tant que puissances mondiales. Il accéléra l’étiolement de leurs responsabilités internationales, et nous en avons vu certaines conséquences dans les décennies qui ont suivi lorsque la réalité nous a forcés à reprendre la voie qu’ils avaient empruntée – dans le golfe Persique, pour prendre un exemple marquant. Suez, par conséquent, ajouta énormément aux fardeaux portés par l’Amérique. »
Kissinger fut le grand prêtre de l’impérialisme et du néo-colonialisme, animé par une haine instinctive à l’égard d’Indira Gandhi, Aldo Moro, Ali Bhutto et d’autres dirigeants mondiaux nationalistes. La géopolitique de type britannique de Kissinger accentua simplement le point de vue fanatiquement anglophile de Bush que ce dernier avait acquis de son père Prescott et qui était imbibé de l’atmosphère de la firme familiale, la Brown Brothers Harriman, qui, à l’origine, était la branche américaine d’une firme de comptabilité britannique.
Kissinger s’engagea également dans un soutien économique, diplomatique et militaire de l’agression et de l’expansionnisme israéliens en vue de garder le Moyen-Orient en état de tension et d’empêcher ainsi l’unité arabe et le développement économique arabe tout en utilisant la région pour lancer des défis à l’Union soviétique. Les âmes sœurs de Kissinger furent des personnages comme le général Ariel Sharon, fomenteurs de guerres incessantes dans le Moyen-Orient. En cela, il était un disciple du Premier ministre britannique Benjamin Disraeli et de Lord Balfour. Durant la guerre de 1973, au Moyen-Orient, qu’il avait contribué à déclencher, Kissinger allait organiser les réapprovisionnement d’Israël par les Etats-Unis et allait déclencher une alerte thermonucléaire américaine à l’échelle du monde. Des années plus tard, Kissinger allait s’enrichir par des achats spéculatifs de propriétés immobilières en Cisjordanie, achetant des terres et des immeubles qui avaient été virtuellement confisqués à des Arabes palestiniens sans défense.
Kissinger était également pro-soviétique d’une façon qui allait bien au-delà de son soutien à la détente de 1970, SALT I et le traité ABM avec Moscou. L’agent polonais du KGB, Michael Goleniewski, passe généralement pour avoir déclaré au gouvernement britannique, en 1972, qu’il avait vu des documents du KGB en Pologne, avant son passage à l’Ouest, qui établissaient que Kissinger était un agent soviétique. Selon Goleniewski, Kissinger avait été recruté par les Soviétiques durant son service militaire en Allemagne après la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il avait travaillé comme simple chauffeur. Kissinger avait prétendument été recruté pour une cellule d’espionnage appelée ODRA, où il avait reçu le nom de compte de « BOR » ou « COLONEL BOR ». Certaines versions de cette histoire spécifient également que cette cellule était en grande partie composée d’homosexuels et que l’homosexualité avait joué un rôle important dans la façon dont Kissinger avait été sélectionné par le KGB. On dit que ces rapports ont été en partie confirmés par Golitsyn, un autre transfuge soviétique. On a dit que feu James Jesus Angleton, directeur du contre-espionnage de la CIA pendant vingt ans jusqu’en 1973, fut le fonctionnaire américain qui reçut le rapport de Goleniewski des mains des Britanniques. Plus tard, Angleton discuta beaucoup du fait que Kissinger était « objectivement un agent soviétique », mais c’était une remarque en l’air, à l’époque. Il n’a pas été prouvé qu’Angleton ait jamais commandé une enquête active sur Kissinger ni qu’il ait donné à l’affaire un nom de code.
Le côté chinois de Kissinger fut bien davantage mis en évidence durant la période 1971-73 et plus tard. Au cours de ces années, il fut obsédé par tout ce qui, de plus ou de loin, se rapportait à la Chine et il chercha à monopoliser les décisions et contacts avec les instances les plus élevées de la direction chinoise. Cette attitude était avant tout dictée par la mentalité et les considérations géopolitiques britanniques déjà mentionnées plus haut, mais il ne fait aucun doute non plus que Kissinger éprouvait une affinité très forte pour Chou En-Lai, Mao Zedong et leur groupe de dirigeants chinois, qui avait été responsable du génocide de 100.000.000 millions (sic, note du traducteur) après 1949.
Kissinger possédait d’autres dimensions, en plus de celles-ci, y compris des liens étroits avec le monde interlope de Meyer Lansky. Ces liens joueront également un grand rôle dans la carrière de George Bush.
Bush était désormais devenu le porte-parole de toutes ces énormités de Kissinger. Au cours de ce processus, il n’allait pas tarder à devenir le clone de Kissinger.
Les événements caractéristiques de la première année du mandat de Bush aux Nations unies reflétaient l’obsession géopolitique de Kissinger à propos de sa carte chinoise. Souvenez-vous que, durant sa campagne de 1964, Bush avait déclaré que la Chine rouge ne devrait jamais être admise au sein des Nations unies et que si Pékin obtenait jamais le siège chinois au Conseil de sécurité, les Etats-Unis devraient désormais se retirer de l’ensemble des pays de la planète. Cette déclaration revint le hanter une ou deux fois. Sa réponse habituelle était du genre : « C’était en 1964, ça fait longtemps. Un tas de choses ont changé, depuis. (…) Une personne qui refuse d’admettre que des changements ont eu lieu est dépassée par les événements, de nos jours. Le président Nixon n’est pas du tout naïf, dans sa politique chinoise. Il reconnaît les réalités d’aujourd’hui et non les réalités d’il y a sept ans. » L’une des réalités de 1971 était que les Britanniques en faillite s’étaient déclarés financièrement incapables de maintenir leur présence militaire dans l’océan Indien et l’Extrême-Orient, dans la zone « à l’est de Suez ». Une partie du timing de la carte chinoise de Kissinger fut dictée par le désir britannique d’obtenir que la Chine soit un contrepoids contre la Russie et l’Inde dans cette vaste zone du monde, et de s’assurer également une présence militaire américaine dans l’océan Indien, comme on le verra plus tard, avec le développement par les Américains, d’une base importante dans l’île de Diego Garcia.
Lors d’une tournée mondiale effectuée en 1969, Nixon avait dit au président Yahya Khan, le dictateur du Pakistan, que son administration voulait normaliser ses relations avec la Chine communiste et qu’elle souhaitait l’aide du gouvernement pakistanais dans ses échanges de messages. Des rencontres régulières entre les Etats-Unis et Pékin avaient eu lieu depuis de nombreuses années à Varsovie mais ce dont voulait parler Nixon, c’était d’un complet renversement de la politique américano-chinoise. Jusqu’en 1971, les Etats-Unis avaient reconnu le gouvernement de la république chinoise de Taiwan comme la seule autorité souveraine et légitime sur la Chine. Les Etats-Unis, au contraire de la Grande-Bretagne, de la France et de bien d’autres pays occidentaux, n’avaient pas de relations diplomatiques avec le régime communiste de Pékin. Le siège chinois parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies était occupé par le gouvernement de Taipei. Chaque année, au début de l’automne, il y avait une tentative du bloc non aligné de chasser Taipei du Conseil de sécurité et de le remplacer par Pékin mais, jusqu’alors, le vote avait toujours échoué en raison du chantage américain en Amérique latine et dans le reste du tiers monde. L’une des raisons de la longueur si grande de cet arrangement fut l’immense prestige du président de la république de Chine, Tchang Kai-Chek et la popularité sentimentale du Guomindang auprès de l’électorat américain. Il y avait toujours un puissant lobby chinois et il était particulièrement fort parmi les républicains de droite de ce qui avait été le lobby des factions Taft et Knowland du parti, et dont Goldwater assurait la continuité. A l’époque, en pleine guerre du Vietnam, avec le déclin de la puissance stratégique et économique des Etats-Unis, l’élite anglo-américaine se décida, vu le futur prévisible, en faveur d’une alliance géopolitique avec la Chine contre les Soviétiques. Cela signifiait que l’honneur des implications américaines vis-à-vis de la Chine de Taiwan avait été jeté par-dessus bord comme un poids mort inutile, quelles que puissent être les conséquences politiques domestiques. Ce fut la tâche attribuée à Kissinger, Nixon et George Bush.
La manœuvre prévue à l’ordre du jour de 1971 consistait à virer la Chine de Taiwan du Conseil de sécurité des Nations unies et d’attribuer son siège à Pékin. Kissinger et Nixon calculèrent que la duplicité allait les protéger des dégâts politiques domestiques, ils allaient préconiser une politique des « deux Chines », sous laquelle à la fois Pékin et Taipei seraient représentées à l’ONU, du moins à l’Assemblée générale, en dépit du fait que c’était une alternative que les deux gouvernements chinois rejetaient avec véhémence. Les Etats-Unis allaient prétendre livrer bataille pour maintenir Taipei au sein des Nations unies, avec George Bush en tête de la charge bidon, mais cet effort allait connaître la défaite. Ensuite, l’administration Nixon pourrait prétendre que le vote au sein de l’ONU était indépendant de son contrôle, elle se résignerait confortablement à la présence de Pékin au Conseil de sécurité et pourrait à l’aise poursuivre sa carte de la Chine. Ce qu’il fallait, c’était un tour de passe-passe diplomatique, cynique et hypocrite, dans lequel Bush jouerait le premier rôle.
Ce scénario se compliqua en raison de la rivalité entre le secrétaire d’Etat Rogers et le patron de la NSC, Kissinger. Rogers était un vieil ami de Nixon, mais c’était naturellement Kissinger qui faisait la politique étrangère pour Nixon et le reste du gouvernement, et c’était également Kissinger qui constituait incomparablement le pire des maux. Entre Rogers et Kissinger, Bush choisit sans hésiter le camp du second. Plus tard, dans un témoignage face au Congrès, Ray Cline, a un cheval de trait de la faction Bush de la CIA, a tenté de prétendre que Rogers et Bush avaient été gardés dans l’ombre par Nixon et Kissinger sur la nature réelle de la politique américaine avec la Chine. Cela implique que les efforts de Bush pour garder Taiwan à l’ONU étaient de bonne foi. Selon le compte rendu fantasque de Cline, « En 1971, Nixon et Kissinger, en fait, ‘sapèrent’ les efforts du département pour sauver Taiwan ».(10) Rogers peut avoir cru qu’aider Taiwan constituait la politique américaine, mais pas Bush. La version de ces événements telle que la voit Cline est une insulte à l’intelligence de toute personne sérieuse.
La carte chinoise de l’ère Nixon prit forme en juillet 1971 avec l’opération « Marco Polo I » de Kissinger, son premier voyage secret en Chine. Kissinger dit dans ses mémoires que Bush était considéré comme un candidat à ce voyage, en même temps que David Bruce, Elliot Richardson, Nelson Rockefeller et Al Haig.(11) Kissinger se rendit d’abord en Inde, puis au Pakistan. De là, avec l’aide de Yahya Khan, Kissinger se rendit à Pékin pour rencontrer Chou En-Lai et d’autres officiels chinois. Il retourna par Paris, où il rencontra le négociateur du Nord-Vietnam, Le Duc Tho, lors des entretiens de Paris sur l’Indochine. De retour à Washington, Kissinger mit Nixon au courant de son accord avec Chou. Le 15 juillet 1971, Nixon annonça à un large public radio-TV qu’il avait accepté « avec plaisir » une invitation à visiter la Chine en toute occasion avant mai 1972. Il assura sans conviction à ses « vieux amis » (entendant par-là Tchang Kai-Chek et le gouvernement de Taiwan) que leurs intérêts ne seraient pas sacrifiés. Plus tard, la même année, entre le 16 et le 26 octobre, Kissinger entreprit l’opération « Polo II », une seconde visite publique de Chou à Pékin, afin de régler les détails de la visite de Nixon et à mettre au point ce qui allait devenir le « Communiqué de Shanghai » entre les Etats-Unis et la RP de Chine, la déclaration commune sortie au cours du séjour de Nixon. Durant cette visite, Chou avertit Kissinger de ne pas se laisser désorienter par la ligne de propagande hostile de Pékin à l’égard des Etats-Unis, dont on pouvait voir les manifestations partout. Les slogans anti-américains sur les murs, déclara Chou, n’avaient aucune signification, c’était comme « tirer au canon sans l’avoir chargé ». Finalement, Nixon et Kissinger se rendirent à Pékin en février 1972.
C’est sur cette toile de fond que Bush mena sa campagne bidon pour garder Taiwan au sein des Nations unies. Le département d’Etat avait déclaré, via la bouche de Rogers, le 2 août, que les Etats-Unis soutiendraient l’admission de la Chine communiste à l’ONU, mais s’opposeraient à l’expulsion de Taiwan. C’est ce qu’on a appelé la politique des « deux Chines ». Dans une interview donnée le 12 août, Bush déclara au Washington Post qu’il travaillait d’arrache-pied pour récolter des votes censés garder Taiwan au nombre des membres de l’ONU lorsque l’époque du vote viendrait, en automne. Répondant à l’impression évidente qu’il s’agissait d’un simulacre dressé uniquement à des fins politiques intérieures, Bush engagea son honneur sur l’implication de Nixon en faveur des « deux Chines ». « Je sais avec certitude que le président désire voir cette politique appliquée », déclara Bush, le visage apparemment franc, ajoutant qu’il avait discuté de la question avec Nixon et Kissinger à la Maison-Blanche quelques jours plus tôt à peine. Bush déclara que lui et d’autres membres de sa mission avaient exercé jusqu’à ce moment des pressions sur 66 pays et que ce chiffre allait sans doute passer à 80 dès la semaine suivante. En fin de compte, Bush prétendit avoir parlé personnellement avec 94 délégations afin de les pousser à permettre à Taiwan de rester, ce qu’un confrère diplomate qualifia de « record quantitatif ».
Des observateurs diplomatiques ont noté que l’activité américaine était entièrement confinée au « palais de verre » prestigieux de l’ONU et que les ambassadeurs américains ne faisaient rien, pour ainsi dire, dans les diverses capitales du monde entier. Mais Bush rétorqua que s’il n’était question que de passer par les motions en guise de geste pour Taiwan, il ne consacrait ni son temps ni son énergie à la cause. Le principal effort se faisait à l’ONU même parce que « c’est à cela, après tout, que sert l’ONU », commenta-t-il. Bush déclara que son optimisme à propos de la sauvegarde de Taiwan en tant que membre avait augmenté au cours des trois dernières semaines.(12)
A la fin septembre, Bush disait qu’il estimait que les chances étaient de plus que 50 – 50 pour que l’Assemblée générale des Nations unies autorise à siéger les deux gouvernements chinois. A l’époque, la position officielle des Etats-Unis telle que Bush l’énonçait était que le siège au Conseil de sécurité irait à Pékin, mais que Taipei devrait être autorisé à rester à l’Assemblée générale. Depuis 1961, la stratégie américaine dans le blocage de l’admission de Pékin avait dépendu d’une défense procédurière, en obtenant la majorité simple de l’Assemblée générale pour une résolution définissant le siège de Pékin en tant que Question importante, laquelle requérait une majorité de deux tiers afin d’être appliquée. Par conséquent, si les Etats-Unis pouvaient obtenir une majorité simple sur le vote de procédure, un tiers plus un suffirait à battre Pékin lors du second vote.
L’Assemblée générale se réunit le 21 septembre. Bush et ses assistants tenaient une ridicule conférence de presse sur les scores des délégations. Deux fois par jour, il y avait un briefing du département d’Etat sur le pointage du vote. « Oui, le Burundi est avec nous… A propos de l’Argentine, nous ne sommes pas sûrs », etc. Toute cette attention valut à Bush d’apparaître à « Face the Nation », où il dit que la politique des deux Chine devait être approuvée sans égard au fait qu’à la fois Pékin et Taipei l’avaient rejetée. « Je ne crois pas que nous devons nous inquiéter de savoir si la république de Chine ou si Pékin vont accepter », déclara Bush à ses interviewers. « Pour changer, faisons en sorte que les Nations unies fassent quelque chose qui cadre avec la réalité et ensuite, que cette décision soit prise par les parties impliquées », déclara Bush avec son habituel don inimitable sur le plan de la rhétorique.
L’ouverture du débat des Nations unies à propos du siège de la Chine était prévue le 18 octobre. Le 12, Nixon donna une conférence de presse dans laquelle il ignora totalement le sujet et ne fit aucun appel en faveur de Taiwan. Le 16 octobre, Kissinger s’envola en grande pompe pour la Chine. Kissinger dit dans ses mémoires que c’est Bush qui l’avait encouragé à se rendre en Chine et que Bush l’avait également assuré que tout le battage publicitaire entourant ce voyage n’aurait absolument aucun impact sur le vote à l’ONU. Le 25 octobre, l’Assemblée générale refusa, par 59 voix contre 54 et 15 abstentions, la résolution américaine voulait faire du siège de la Chine une Question Importante. Une heure et demie plus tard vint le vote sur la résolution albanaise en vue de faire admettre Pékin et d’exclure Taipei, et qui fut votée par 76 voix contre 35. Bush transmit alors le vote en faveur de Pékin et s’empressa ensuite d’escorter le délégué de Taiwan, Liu Chieh, hors de la salle, pour la dernière fois. L’Assemblée générale servit de cadre à une manifestation jubilatoire menée par les délégués du tiers monde pour célébrer le fait que la Chine communiste avait été admise et plus encore celui que les Etats-Unis avaient été déboutés. Le délégué de la Tanzanie fit un numéro de danse dans l’aile de la salle. Henry Kissinger, de retour de Pékin, apprit les nouvelles sur son télétype et loua les « vaillants efforts » de Bush.
Ayant participé à l’éviction de Taiwan, il était aisé désormais pour le régime Nixon de simuler tout un cinéma d’indignation sur ce qui s’était passé, et ce, à des fins de consommation politique domestique. Le porte-parole de Nixon, Ron Ziegler, déclara que Nixon avait été offusqué par le « spectacle », après le vote, des délégués « qui jubilaient, frappaient des mains et dansaient », et que Nixon avait perçu l’affaire comme une « manifestation choquante de joie non déguisée et d’animosité personnelle ». Il est à remarquer que Ziegler n’eut pas un mot sur le vote, ni contre Pékin, mais qu’il concentra ses flèches contre les délégués du tiers monde, qui furent par la même occasion menacés de se voir couper l’aide à l’étranger des Etats–Unis.
Telle était la ligne que Bush allait suivre servilement. Le dernier jour d’octobre, les journaux citèrent ses propos où il déclarait que la manifestation qui avait suivi le vote était « quelque chose de laid, quelque chose de brutal qui suscitait un désappointement normal ou l’exaltation ». « Je pensais vraiment que nous aurions gagné », déclara Bush, le visage toujours sombre. « Je suis si… déçu. » « Il n’y avait pas que les applaudissements et l’enthousiasme » après le vote, gémit-il. « Quand je me suis levé pour prendre la parole, j’ai été conspué et sifflé. Je ne pense pas que cela soit une bonne chose pour les Nations unies et c’est un point à propos duquel j’éprouve un profond ressentiment. » Aux yeux d’un des journalistes du Washington Post, « l’ambassadeur américain à l’apparence juvénile avait plutôt l’air dépenaillé. Mais il donne toujours l’impression d’un gars honnête tentant d’être le gars de la classe qui va faire le discours d’adieu, comme on l’a décrit un jour. » (13) Bush s’attendait à ce que la délégation de Pékin arrive bientôt à New York, parce que les Chinois voulaient probablement reprendre la présidence du Conseil de sécurité, qui tournait sur base mensuelle. « Mais quant à savoir pourquoi quelqu’un voudrait voir un cas anticipé de varicelle, je me le demande », déclara Bush.
Quand la délégation de Pékin débarqua, le ministre adjoint de la Chine aux Affaires étrangères, Ch'aio Kuan-hua, délivra un premier discours truffé d’emphases idéologiques reprenant les passages dont Kissinger avait convaincu Chou qu’il fallait les retirer du projet de texte du communiqué de Shanghai, quelques jours plus tôt. Kissinger téléphona ensuite à Bush pour que celui-ci dise dans son propre discours que les Etats-Unis regrettaient que les Chinois aient choisi d’inaugurer leur participation à l’ONU en « faisant tirer leurs canons creux chargés de rhétorique ». Bush, telle la poupée d’un ventriloque, exprima avec obéissance l’expression de Kissinger comme s’il se fût agi d’un message codé à l’adresse de Pékin pour dire que tout ce tapage public ne voulait rien dire entre les deux alliés secrets, mais de plus en plus publics.
La farce de la pantomime de Bush dans son soutien de la carte chinoise de Kissinger faillit presque tourner à la tragédie d’une guerre générale, plus tard, en 1971. Cela entraîna la guerre de décembre 1971 entre l’Inde et le Pakistan, qui déboucha sur la création de l’Etat indépendant du Bangladesh et qui doit être comptée comme étant l’une des confrontations thermonucléaires les moins connues entre les Etats-Unis et l’URSS. Pour Kissinger en Bush, l’enjeu de cette crise était la consolidation de la carte chinoise.
En 1970, Yahya Khan, le dictateur du Pakistan, lié aux Britanniques et formé à Sandhurst, fut forcé d’annoncer que des élections se tiendraient dans tout le pays. On rappellera que le Pakistan, à l’époque, était constitué de deux régions séparées, l’Est et l’Ouest, avec l’Inde entre les deux. Au Pakistan oriental, ou Bengale, l’Awami League de Sheik Mujibur Rahman faisait campagne selon une plate-forme réclamant l’autonomie du Bengale et accusant le gouvernement central de la lointaine Islamabad d’incompétence et d’exploitation. Le ressentiment au Pakistan oriental était d’autant plus aigu qu’un typhon venait de frapper le Bengale, lequel avait causé des inondations et des dévastations à grande échelle, et ce ressentiment était encore exacerbé par l’incapacité du gouvernement du Pakistan occidental à organiser des efforts de secours efficaces. Lors des élections, l’Awami League remporta 167 des 169 sièges dans la partie orientale. Yahya Khan reporta l’attribution des sièges de la nouvelle assemblée nationale et, le soir du 25 mars, il ordonna à l’armée pakistanaise d’arrêter Mujibur et d’éliminer son organisation au Pakistan oriental. L’armée lança donc une campagne de génocide politique au Pakistan oriental. On estime que le nombre de victimes se situa entre 500.000 et 3 millions de morts. Tous les membres de l’Awami League, tous les Hindous, tous les étudiants et les intellectuels encouraient le danger d’être exécutés par les patrouilles militaires qui parcouraient le pays. Un faut fonctionnaire américain des Affaires étrangères envoya aux Etats-Unis une dépêche dans laquelle il disait que des soldats du Pakistan occidental avaient mis le feu à un dortoir de femmes de l’université de Dacca et qu’ils avaient ensuite mitraillé les femmes lorsque les flammes les avaient forcées à s’enfuir. Cette campagne de massacres se poursuivit jusqu’en décembre et elle engendra un nombre de réfugiés estimé à 10 millions, dont la plupart s’enfuirent de l’autre côté de la frontière de l’Inde, toute proche et dont le territoire entourait une bonne partie du Pakistan oriental. L’arrivée de 10 millions de réfugiés provoqua un indescriptible chaos en Inde, et le gouvernement indien fut incapable d’empêcher d’innombrables réfugiés de mourir de faim.(14)
Depuis le tout début de ce colossal génocide, Kissinger et Nixon firent clairement entendre qu’ils n’allaient pas condamner Yahya Khan, que Nixon considérait comme un ami personnel. Kissinger se contenta de faire référence aux « fortes tactiques militaires de l’armée pakistanaise » et Nixon fit circuler une note rédigée de sa propre main qui disait : « A tout le monde. Ne mettez pas la pression sur Yahya, cette fois. RN » Nixon insista à plusieurs reprises pour faire savoir qu’il voulait « pencher » du côté du Pakistan durant cette crise.
Un niveau d’explication de cette complicité active dans le génocide fut que Kissinger et Nixon considéraient Yahya Khan comme leur indispensable canal arrière vers Pékin. Mais, bientôt, Kissinger put se rendre à Pékin chaque fois qu’il le souhaitait et, bientôt, il put parler au délégué chinois à l’ONU dans l’un des nouveaux immeubles sûrs de la CIA, à New York. L’essence du soutien au boucher Yahya Khan était celle-ci : en 1962, l’Inde et la Chine s’était engagées dans une brève guère de frontières et les dirigeants de Pékin considéraient l’Inde comme leur ennemi géopolitique. Afin de se gagner les bonnes grâces de Chou et de Mao, Kissinger voulait prendre position en faveur du Pakistan et, par-là, en faveur de l’alliée du Pakistan, la Chine, et contre l’Inde et contre l’allié de l’Inde , l’URSS. (Peu de temps après le voyage de Kissinger en Chine et l’annonce par Nixon de son intention de se rendre à Pékin, l’Inde et l’URSS signèrent un traité d’amitié de vingt ans.)
Pour Kissinger, il était certain que le conflit indo-pakistanais à propos du Bengale allait se muer en un conflit sino-soviétique par procuration et il voulait que les Etats-Unis s’alignent avec la Chine afin d’impressionner Pékin avec les solides bénéfices tirés de l’alliance stratégique entre les Etats-Unis et la République populaire de Chine sous le programme de la « carte chinoise ».
Kissinger et Nixon étaient isolés au sein de la bureaucratie de Washington, à ce propos. Le secrétaire d’Etat Rogers était très opposé à l’idée d’encore soutenir le Pakistan et c’était l’idée maîtresse à Foggy Bottom et dans les ambassades un peu partout dans le monde. Dick le Tricheur et le Gros Henry étaient isolés dans la vaste majorité de l’opinion du Congrès, qui exprimait son horreur et son indignation à propos des proportions du carnage que perpétraient, semaine après semaine, mois après mois, les forces armées de Yahya Khan. Même les médias et l’opinion publique américaine ne pouvaient trouver aucune raison à cette « inclination » amicale en faveur de Yahya Khan. Le 31 juillet, Kissinger explosa lors d’un meeting du Senior Review Group lorsqu’on émit la proposition de retirer l’armée pakistanaise du Bengale. « Pourquoi nous mêlerions-nous de savoir comment ils se gouvernent ? », dit Kissinger, enragé. « Le président dit toujours qu’il faut pencher en faveur du Pakistan, mais chaque proposition que je fais [de l’intérieur du gouvernement américain] va dans la direction opposée. Parfois, il me semble être dans une maison de fous. » L’affaire se poursuivit durant des mois. Le 3 décembre, lors d’une réunion au sein du Groupe d’action spécial de Kissinger, à Washington, Kissinger s’emporta à nouveau, s’exclamant : « je me fais enguirlander toutes les demi-heures par le président qui dit que nous ne sommes pas encore assez durs. Il ne croit pas vraiment que nous appliquons ses desiderata. Il veut incliner vers le Pakistan et il croit que tout briefing ou toute déclaration va dans l’autre sens. »(15)
Mais qu’importe ce que Rogers, le département d’Etat et le reste de la bureaucratie de Washington aient pu faire, Kissinger savait que George Bush à l’ONU allait continuer à jouer avec l’inclination pro-pakistanaise. « Et je savais que George Bush, notre compétent ambassadeur aux Nations unies, allait appliquer la politique du président », écrivit Kissinger dans ses mémoires en décrivant sa décision de laisser tomber l’opposition américaine à un débat du Conseil de sécurité concernant le sous-continent. Cela fit de Bush l’un des fonctionnaires américains les plus avilis et les plus serviles de l’époque.
Indira Gandhi était venue à Washington en novembre pour tenter un règlement pacifique de la crise, mais elle avait été cruellement dédaignée par Nixon et Kissinger. La chronologie de la phase finale aiguë de la crise peut se résumer comme suit :
3 décembre – Yahya Khan a commandé aux Forces aériennes pakistanaises de mener une série de raids aériens par surprise contre des bases aériennes indiennes dans le Nord et l’Est de l’Inde. Ces raids ne furent pas efficaces dans leur destruction des forces aériennes indiennes au sol, ce qui avait été l’intention de Yahya Khan, mais cette agression précipita la guerre tant crainte entre l’Inde et le Pakistan. L’armée indienne opéra des progressions rapides contre les forces pakistanaises au Bengale, tandis que la marine de guerre indienne bloquait les ports pakistanais. C’est à cette époque que débuta également la plus grosse concentration de forces navales soviétiques dans l’océan Indien.
4 décembre – Au Conseil de sécurité des Nations unies, George Bush fit un discours dans lequel sa principale argumentation consista à accuser l’Inde d’incursions répétées au Pakistan oriental et de défier la légitimité du recours de l’Inde aux armes en dépit de la simple évidence que le Pakistan avait frappé d’abord. Bush introduisit un projet de résolution qui enjoignait à l’Inde et au Pakistan de cesser toutes les hostilités. La résolution de Bush mandatait également le retrait immédiat de toutes les forces armées indiennes et pakistanaises dans leur propre territoire, ce qui signifiait en fait que l’Inde devait se retirer du Pakistan oriental et laisser les forces de Yahya Khan y retourner et reprendre leur mission de génocide contre la population locale. Des observateurs allaient être placés le long des frontières indo-pakistanaises par le secrétaire général des Nations unies. La résolution de Bush contenait également un appel grotesque à l’Inde et au Pakistan afin qu’ils " orientent leurs meilleurs efforts vers la création d’un climat favorable au retour volontaire des réfugiés vers le Pakistan oriental ". Cette résolution était en porte-à-faux par rapport à deux réalités, à savoir que Yahya Khan avait débuté le génocide au Pakistan oriental en mars déjà et que le même Yahya avait depuis lancé une agression contre l’Inde via ses raids aériens. La résolution de Bush se vit opposer le veto du représentant soviétique, Yakov Malik.
6 décembre – Le gouvernement indien étendit sa reconnaissance diplomatique à l’Etat indépendant du Bengladesh. Les troupes indiennes faisaient des progrès continuels contre l’armée pakistanaise au Bengale.
Le même jour, une équipe de cameramen de la NBC filma une bonne partie de la journée de Nixon à l’intérieur de la Maison-Blanche. Une partie de ce qui avait été enregistré et par la suite diffusé était un appel téléphonique de Nixon à George Bush aux Nations unies, pour lui donner des instructions sur la façon de s’y prendre avec la crise indo-pakistanaise. " Certains, partout dans le monde, vont tenter à la base d’en faire un problème politique ", dit Nixon à Bush. " Vous devez faire ce que vous pouvez. Le plus important de tout, maintenant, c’est de faire ressortir les faits par rapport à ce que nous avons fait, mis en route pour en arriver à un règlement politique, ce que nous avons fait pour les réfugiés etc., etc. Si vous voyez que certains, ici, au Sénat et à la Chambre, pour quelque raison que ce soit, sortent et donne une mauvaise représentation de nos opinions, je vous que vous l’attaquiez de front, fermement, brutalement, c’est clair ? Retirez simplement vos gants et démolissez-le, parce que vous savez exactement ce que nous avons fait. OK ? "(16)
7 décembre – Aux Nations unies, George Bush fit un pas de plus vers une confrontation mondiale en cataloguant l’Inde d’agresseur, dans cette crise, comme le note avec approbation Kissinger dans ses mémoires. Le projet de résolution de Bush décrit ci-dessus, qui avait subi le veto de Malik au Conseil de sécurité, fut approuvé par l’Assemblée générale par un vote non contraignant de 104 voix contre 11, ce que Kissinger interpréta comme un triomphe pour Bush. Mais, le même jour, Yahya Khan informa le gouvernement de Washington que ses forces militaires au Pakistan oriental se désintégraient rapidement. Kissinger et Nixon tirèrent parti d’un rapport douteux en provenance d’un supposé agent de la CIA occupant une haute fonction au sein du gouvernement indien, lequel prétendait résumer des remarques récentes d’Indira Gandhi à l’adresse de son cabinet. Selon ce rapport, qui pouvait émaner de l’ancien Premier ministre Moraji Desai, Madame Gandhi s’était juré de conquérir la partie sud du Cachemire, en territoire pakistanais. Si les Chinois " agitaient leurs armes ", aurait dit Madame Gandhi, du moins d’après le rapport, les Soviétiques allaient répondre. Ce rapport indigne de foi devint l’un des piliers des actions futures lancées par Nixon, Kissinger et Bush.
8 décembre – A ce moment, la marine de guerre soviétique avait quelque 21 navires s’approchant de l’océan Indien ou y patrouillant déjà, et c’était un contraste avec le nombre d’avant la crise, qui était de 3 navires seulement. A ce point, alors que la guerre du Vietnam faisait toujours autant rage, les Etats-Unis avaient un total de trois navires dans l’océan Indien – deux vieux destroyers et un porte-hydravions. La dernière escadre de la marine britannique quittait la région dans le cadre du départ britannique de l’est de Suez.
Le soir, Nixon suggéra à Kissinger que le sommet de Moscou prévu pourrait être reporté. Kissinger s’emporta, disant que l’Inde voulait s’emparer non seulement du Bengale, mais également du Cachemire, ce qui allait déboucher sur la poursuite de la sécession de Béloutchistan et sur le démembrement complet du Pakistan. " Fondamentalement ", écrivit Kissinger à propos de cette époque, " la seule carte qui nous restait était d’accroître les risques pour les Soviétiques à un niveau où Moscou verrait ses intérêts plus importants compromis " par leur soutien à l’Inde qui, jusqu’alors, avait été plutôt tiède.
9 décembre – Le département d’Etat et d’autres institutions montraient des signes de quasi-humanité, cherchant à saper la politique de Nixon, Kissinger et Bush via des fuites néfastes et un obstructionnisme bureaucratique. Nixon, " hors de lui " à propos de ces fuites embarrassantes, fit appeler les principaux officiers du Washington Special Action Group et leur dit qu’alors qu’il n’insistait pas pour qu’ils soient loyaux envers le président, ils devaient au moins l’être à l’égard des Etats-Unis. Parmi les hommes que Nixon insulta figurait le sous-secrétaire d’Etat U. Alexis Johnson. Mais les fuites ne firent qu’augmenter.
10 décembre – Kissinger commanda à l’US Navy de créer la Task Force 74, composée du porte-avions nucléaire Enterprise, d’une escorte et de navires de ravitaillement, et de leur faire quitter leur poste, au Yankee Station, pour faire route vers le golfe du Tonkin, entre le Vietnam et Singapour.(17)
A Dacca, au Pakistan oriental, le major-général Rao Farman Ali Khan, commandant des forces pakistanaises au Bengale, demande au représentant des Nations unies de mijoter un cessez-le-feu, suivi par le transfert du pouvoir, au Pakistan oriental, aux représentants élus de l’Awami League, ainsi qu’un " rapatriement honorable " de ces forces vers le Pakistan occidental. D’abord, il était apparu que cette reddition de fait avait été approuvée par Yahya Khan. Mais quand Yahya Khan apprit que la flotte américaine avait été envoyée dans l’océan Indien, il perçut la chose comme un tel encouragement qu’il abandonna l’idée d’une reddition et qu’il ordonna au général Ali Khan de reprendre les hostilités, ce que l’autre fit.
Le colonel Melvin Holst, attaché militaire américain à Katmandou, au Népal, un petit pays pris en sandwich entre l’Inde et la Chine, dans l’Himalaya, reçut un appel de l’attaché militaire indien qui demandait si les Américains avaient connaissance d’un gros apport de troupes chinoises au Tibet. " Le haut commandement indien dispose de certaines informations disant que les actions militaires s’intensifient au Tibet ", déclara Holst dans son télégramme à Washington. Le soir même, même câble de la part de l’attaché militaire soviétique, Loginov, demandant également plus de renseignements sur les activités militaires chinoises. Loginov dit qu’il avait parlé de la situation des deux derniers jours avec l’attaché militaire chinois, Chao Kuang-chih " et qu’il lui avait conseillé que la République populaire chinoise ne prenne pas trop au sérieux une intervention, parce que l’URSS allait réagir, qu’elle disposait de nombreux missiles, etc. " (18) A ce moment-là, les passages dans la chaîne de l’Himalaya, c’est-à-dire les corridors pour tous les mouvements de troupes chinoises, était complètement ouverts et ils n’étaient aucunement enneigés. La CIA avait remarqué des " préparatifs de guerre " au Tibet durant les mois qui avaient succédé à la crise du Bengale. Nikolai Pegov, l’ambassadeur soviétique à New Dehli, avait assuré le gouvernement indien de ce qu’au cas d’une attaque chinoise contre l’Inde, les Soviétiques allaient monter " une action de diversion dans le Sinkiang ".
11 décembre - Kissinger était en ville la veille, pour rencontrer le délégué chinois aux Nations unies. Ce 11 décembre même, Kissinger devait rencontrer l’adjoint au Premier ministre pakistanais, Ali Bhutto, dans la suite de Bush au Waldorf-Astoria. Huang Hua, le délégué chinois, fit des remarques que Kissinger choisit d’interpréter comme signifiant que " les Chinois pourraient intervenir militairement, même à ce stade ultime ".
12 décembre – Nixon, Kissinger et Haig se rencontrèrent très tôt dans le Bureau ovale, ce dimanche matin, pour un conseil de guerre. Plus tard, Kissinger décrivit la chose comme une rencontre cruciale où, comme il advint, fut prise " la première décision de risquer au sein de la relation triangulaire entre les Soviétiques, les Chinois et les Américains ".(19)
NOTES:
1. En 1970, le portefeuille de Bush comprenait 29 compagnies dans lesquelles il avait un intérêt de plus de 4.000 dollars. Il possédait 10.000 parts de l’American General Insurance Co., 5,500 parts de l’American Standard, 200 parts d’AT&T, 832 parts de CBS et 581 parts de l’Industries Exchange Fund. Il détenait également des actions de Kroger Company, Simplex
Wire and Cale Co. (25.000 action), IBM et Allied Chemical. En outre, il avait créé un fonds de trust pour ses enfants.
2. James Reston, Jr., The Lone Star: The Life of John Connally (L’étoile solitaire : la vie de J.C.), New York, 1989, p.380.
3 Safire, Before the Fall (Avant la chute), p.646.
4. Walter Pincus et Bob Woodward, "Presidential Posts and Dashed Hopes," (Postes présidentiels et espoirs déçus),
Washington Post, 9 août 1988.
5. Reston, p.382.
6. Bush et Gold, Looking Forward (Regarder vers l’avant), p.110.
7. Pour la part de Nixon dans la désignation de Bush aux Nations unies, voir William Safire, Before the Fall (Avant la
chute), New York, 1977, et particulièrement "The President Falls in Love" (Le président est amoureux), pp.642 et ss.
8. Reston, p.382. Reston (pp.586-587) raconte l’histoire de la façon dont, des années plus tard, lors de la campagne des blocs électoraux en Iowa, lorsque Bush et Connally participaient tous deux à la course, Bush se mit en colère par le fait que Connally mit sa virilité en doute dans des remarques adressées aux Texans prétendant que Bush « avait tout dans le chapeau et rien dans le pantalon ». Bush passait près d’un appareil de TV à l’hôtel Fort Des Moines lorsque Connally apparut sur l’écran. Bush se dirigea vers l’image de Connally sur l’écran comme s’il avait l’intention de lui serrer la main. Puis il s’écria : « Merci, Monsieur, pour toutes les gentilles choses que vous et vos amis racontent sur moi ! » Puis Bush frappa du poing sur le dessus du récepteur en criant : « Ce connard ! »
9. A propos de Kissinger, voir Scott Thompson et Joseph Brewda, "Kissinger Associates: Two Birds in the Bush" (Les
associés de Kissinger : deux oiseaux dans le buisson – Bush en anglais), Executive Intelligence Review, 3 mars 1989.
10. Voir Tad Szulc, The Illusion of Peace (L’illusion de la paix), New York, 1978, p.498.
11. Henry Kissinger, White House Years (Mes années à la Maison-Blanche), Boston, 1979, p.715.
12. Szulc, p.500, et Washington Post, 12 août 1971.
13. Washington Post, 31 octobre 1971.
14. Voir Seymour M. Hersh, The Price of Power (Le prix du pouvoir), New York, 1983, pp.444 et ss.
15. Henry Kissinger, White House Years, p.897. Les lignes générales de ces remarques ont d’abord été publiées dans la colonne de Jack Anderson et réimprimées dans : Jack Anderson, The Anderson Papers (Les papiers d’Anderson), New York, 1973. 16. Kissinger, p.896.
17. Jack Anderson, The Anderson Papers, p.226
18.Elmo Zumwalt, On Watch (Sur ses gardes), New York, 1976, p.367. 19. Anderson, pp.260-1.