Cette énergie de fracturation du béton est vraiment un sujet qui intrigue beaucoup les lecteurs. Hervé et Mathieu, entre autres, m'ont fait part de leurs questions ou de leurs doutes...
Certaines interrogations sont d'ailleurs très pertinentes et c’est vrai que la physique mise en jeu est encore mal maîtrisée car ce sont là des questions qui ont été très peu traitées dans le passé…
Ainsi, à force de muscapédication, les conspirationnistes poussent les scientifiques dans leurs derniers retranchements sur des sujets encore mal cernés… Cela explique pourquoi les derniers modèles, sortis 7 ans après la catastrophe commencent à peine à coller à peu près à la réalité. Je parle ici des modèles énergétiques car pour ce qui est de l’amorce de l’effondrement, après un minimum d'études sur la structure du bâtiment, les spécialistes ont su rapidement quelles avaient été les causes…
Mais avant d'entrer dans le détail d'explications plus techniques, je ferai dans un premier temps un simple appel au bon sens...
Si nous supposons que l’énergie développée par l’effondrement n'a pas été suffisante pour pulvériser le béton c’est que des explosifs ont été mis en œuvre. Imaginons donc 30 secondes le chantier...
Pour avoir de l’efficacité, l’explosif doit être mis au cœur du béton, et non contre, car les plaques en acier sur lesquelles il a été coulé l’auraient partiellement protégé… Cela veut dire qu’il faudrait faire tout un criblage par des perçages réguliers sur l'ensemble de la surface pour loger les charges, le tout sur 110 étages de 4000 m²… et ce dans les faux plafonds… sans que personne ne s’en aperçoive… avec les systèmes de mise à feu… des kilomètres de fils… et des centaines de détonateurs !!!
Mais au fait pourquoi faire ? Après avoir déjà prévu un avion et de la thermite (!) pour couper les colonnes et assurer la chute des tours, cela suffirait à créer l’émotion souhaitée, non ? Que les gens soient désintégrés dans l’effondrement ou écrabouillés entre deux dalles de béton c’est la même chose, non ?
C’est prendre des risques considérables, pour rien, que de mettre en place un tel réseau d'explosifs !
D'ailleurs, vu la taille du chantier, n'importe quel artificier vous dira que c'est quasiment impossible à réaliser : ils ne sont pas capables de gérer les microretards de déclenchement des explosions au-delà de quelques dizaines d'étage.
Dans la théorie du complot, l’idée qu’on ait pu faire « exploser » le béton est donc pour moi encore plus invraisemblable que la thermite. Il n’y avait vraiment aucun intérêt logique à une telle action sauf à risquer de se faire pincer en train de placer les explosifs ou de laisser des traces supplémentaires : charges non explosées, câblages de mise à feu résiduels, etc…
Sans parler des explosions : quand on connaît le bruit créé lors d’une DC pour saper une poignée d’éléments et ce après désossage complet du bâtiment (un chantier de plusieurs semaines), je n’ose même pas imaginer pour pulvériser 100 000 tonnes de béton !!!
Un calcul réalisé sur le site debunking911 montre que pour atteindre la même énergie que l’énergie potentielle d’une tour, il aurait fallu 212 tonnes de TNT… Donc si l’énergie gravitationnelle n’a pas pu pulvériser ce béton, combien en aurait-il fallu ?? 300, 400 tonnes ?? Ça en fait des semi-remorques... et une sacrée déflagration !
Le simple bon sens, et pas des kilomètres d'équations, amène donc à chercher une explication bien plus réaliste que l'explosif pour pulvériser le béton.
Maintenant, plaçons-nous sur un plan plus 'scientifique'...
L'énergie de fracturation, ce qu'elle caractérise
L'énergie de fracturation du béton est une notion qui a beaucoup de mal à passer chez les personnes ne connaissant pas bien le matériau.
Un premier élément qu'il faut absolument avoir en tête est que le comportement du béton est non symétrique : il résiste très bien en compression, mais très mal en traction.
Cela explique pourquoi vous pourrez casser aisément au marteau une plaque de 1 ou 2 cm d'épaisseur de béton mais pas un bloc de plusieurs centimètres. De la même façon, évaluer l'énergie nécessaire à la pulvérisation d'un béton avec une perceuse est parfaitement stupide car la perceuse travaille justement en compression c'est-à-dire de la pire façon qui soit pour rompre ce matériau. Pour fixer un ordre de grandeur, il est communément admis que le ratio entre la résistance en compression et en traction est de l'ordre de 10. C'est pour cela qu'on associe acier et béton pour créer du béton armé.
L’énergie de fracturation utilisée dans les calculs correspond précisément à l’énergie nécessaire pour fendre un béton par traction. Comme le béton résiste très mal en traction, cela donne une énergie très faible.
Il faut également noter que l’épaisseur dans le sens de l’effort de traction ne joue pas dans ce cas : imaginez deux cordes de 1 et 2 mètres de long. Si vous voulez les couper en deux par traction, c’est leur diamètre qui va compter, pas leur longueur. C'est pour cela qu'on évalue l'énergie par m².
Un autre élément remarquable en préambule, est qu'un solide soumis à de la compression (ou de la flexion) peut développer des contraintes de traction. C’est le principe qui est utilisé dans l’essai 'brésilien' pratiqué sur des éprouvettes de béton cylindriques. Nous le détaillerons dans le paragraphe juste en dessous.
La méthode utilisée pour déterminer cette énergie de fracturation repose un peu sur le même principe que l’essai mouton : des éprouvettes sont entaillées et on mesure l'énergie nécessaire à la propagation de la fissure.
La méthode est partiellement décrite dans la thèse de Fabien Delhomme, déjà donnée en référence. Je vous en propose un extrait ici.
Extrait de la thèse de Fabien DELHOMME (j'ai mis en gras les passages intéressants) :
Le béton, comme la pierre, et beaucoup d’autres matériaux, présente un mécanisme de fissuration différent de celui des métaux lors d’un mode de rupture par traction (mode I). Ils sont caractérisés par une zone de propagation de la fracture (« Fracture Process Zone : FPZ ») dans laquelle le matériau est soumis à de légers dommages [HIL, 76] [MOM, 03]. Dans l’acier, un matériau ductile, cette zone est quasiment inexistante car la zone endommagée passe directement d’un état élastique à un état plastique. En revanche, dans le cas du béton l’écoulement plastique est quasiment inexistant et la zone non linéaire est entièrement décrite par une FPZ : ce sont des matériaux quasi-fragiles [BOR, 96] [BOR, 02]. La figure IV.18 décrit un mécanisme de propagation d’une fissure dans un matériau tel que le béton.

« GF », correspondant à l’aire totale sous la courbe contrainte-ouverture de fissure (J.m-2), représente l’énergie totale dissipée par mètre carré de plan de fissuration lorsque les deux surfaces fissurées sont complètement séparées en un point donné.
Formule du comité Euro-International du Béton
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Formule proposée par Bazant
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(Pour l'anecdote, l'un des rapporteurs de la thèse, Jacky Mazars, est un des plus éminents experts
français en matière d'étude de l'endommagement du béton)
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Les deux formulations sont comparées dans la thèse, elles donnent des ordres de grandeur identiques. Ainsi l'énergie de fracturation est fonction de plusieurs paramètres : diamètre du plus gros granulat, résistance à la compression du béton, type de granulat et proportion de l'eau par rapport au ciment.
Concernant la valeur numérique choisie, notons tout d’abord que le béton utilisé sur les bacs en acier du WTC n’était pas d’une qualité exceptionnelle (1500 kg/m3 soit 35 % de moins qu’un béton normal). Sa résistance en compression, vu les connaissances à l’époque en matière de formulation et de fluidifiant chimique, ne devait donc être comprise qu’entre 15 et 20 MPa au maximum, contre 40 à 50 MPa pour les bétons « normaux ». En faisant l’application numérique pour fc28 = 15 MPa, d= 12 mm, granulat roulé, C/E = 0,7, cela nous donne la valeur de 45 Joules utilisée dans le calcul.
Par rapport à 100 J (béton normal), 45 J n’est donc pas irréaliste vu le béton considéré.
La taille des granulats ne joue-t-elle pas un rôle dans cette énergie ?
Cette question m'a été posée par Mathieu qui soupçonnait un comportement différent du matériau béton suivant si l'on s'intéresse à la pâte cimentaire ou au granulat (comportement hétérogène).
Pour mon explication, je prendrai l'exemple de l'essai de fendage brésilien (6.6.2 là) où une rupture verticale nette s'opère traduisant une mise en traction du béton. En effet, bien que le cylindre soit sollicitée en compression, il est facile de montrer que la direction perpendiculaire à l’axe de compression est soumise à une contrainte de traction. La démonstration fait appel à la mécanique des milieux continus et aux cercles de Mohr.
La rupture est alors régulière : non seulement la pâte cimentaire est fendue, mais aussi certains granulats qui sont cassés nettement (voir photo ci-dessous à droite).
Dans le cas de granulats roulés (extraits dans les cours d'eau et ressemblant à des galets) certains peuvent être décollés (voir la même photo) mais pour ceux qui sont concassés, c'est l'ensemble des grains situés dans le plan qui se rompent.
L'essai de fendage 'Brésilien'...
Cela montre que les résistances en traction de la matrice (les granulats) ou du liant (le ciment) sont de valeur équivalente. Dans la formule de Bazant ci-dessus, il est tenu compte du type de granulats qui peut améliorer l'adhérence liant/matrice.
Ce comportement voisin justifie qu’on ne tienne pas compte de l’effet d’échelle pour la fracturation de l’éprouvette de 8,7 cm.
A quoi peut-on comparer cette énergie ?
Hervé, qui est spécialiste de balistique, m'a proposé une comparaison avec les dégâts provoqués par des armes de guerre sur le béton. Les énergies des projectiles tirés par ces armes (Kalachnikov par exemple) sont de l'ordre de 2000 joules : les vitesses d'éjection peuvent atteindre mach 3 pour des balles de 7 à 8 grammes environ ! C'est vrai que cela peut laisser songeur par rapport à la valeur de 885 J/kg pour pulvériser le kilo de béton...
Mais il reconnaît lui même que cette comparaison n'est pas forcément pertinente en raison d'éclats, de projections et de forts échauffements. Il propose par contre une analogie plus intéressante entre l'effondrement des tours et un gigantesque concasseur... C'est aussi une comparaison que m'a proposée Mathieu avec deux liens d'articles à consulter : http://www.b-i-m.de/public/ibac/mueller.htmh et ttp://www.elorantaassoc.com/eob97.htm.
Dans le premier, on peut lire que l’’impact crusher’ (un concasseur) travaille à 1,5kWh/tonne soit 5400 J/kg de béton. Mais cette énergie est requise pour fracturer les bétons aux alentours de 2 mm, pas 100 µm.
Dans le deuxième, on apprend qu'une fracturation à 60 µm nécessite près de 22 kWh/tonne soit 79200 J/kg. En associant la formule proposée dans cet article et l’’impact crusher’, nous arrivons à 52000 J/kg pour des particules de 100 µm.
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que cette énergie est la puissance électrique consommée par les appareils de concassageet qu'elle est très supérieure à l'énergie réelle utilisée pour fragmenter le matériau, le rapport entre les deux définissant le rendement de l'appareil
En fait, l'énergie utile fournie au matériau pour son broyage mécanique est assez ridicule par rapport à la puissance de l'appareil et d'autant plus faible que le matériau est fin. Vous pourrez le lire sur cet article des Techniques de l'ingénieur. L'exemple d'un broyeur à boulets est donné, avec une énergie allant jusqu'à 36000 J/kg suivant le matériau pour des particiles de 100 µm, mais dont le rendement n'est que de... 2,7 % !
Si nous prenons 2,7 % de 36000 J, nous sommes à 970 J/kg mais il est très difficile et pour le moins aléatoire d'interpréter ces chiffres.
La taille des particules
Bien sûr, plus la taille des particules à générer est petite, plus l'énergie nécessaire est importante.
Il m'a été reproché de prendre 100 µm pour le calcul énergétique (grossier) que j'ai présenté, en me renvoyant sur une étude qui a été faite de la toxicité des résidus sur la zone du WTC. La médiane des tailles de particules pour ces échantillons se situe autour de 50 µm.
J'objecterai d ’abord, et c’est très simple à comprendre, que les lieux de prélèvement étaient loin des tours, tous situés entre 100 et 300 m. Il est donc normal qu’on ait trouvé à ces endroits-là les particules les plus volatiles, donc les plus fines. Les éléments plus lourds, pulvérisés plus grossièrement, sont au contraire restés au cœur de l’effondrement et au milieu des décombres. Pour l’instant je n’ai pas d’indication concernant une étude sur ces éléments là… Pourtant il y en avait.
Ensuite, dans ces particules, il n’y avait pas que du béton, mais aussi du plâtre (Gypsum) ou du flocage de protection incendie qui sont bien sûr beaucoup plus « tendres » que le béton…
La valeur de 100 µm prise comme valeur moyenne pour le béton n’est dons pas à mon sens irréaliste… D’aucuns la trouvent d’ailleurs bien trop pénalisante… Je reconnais que c’est un peu arbitraire mais on ne peut pas non plus prétendre que ce qui a été prélevé à 200 m du lieu de l’effondrement est représentatif des particules de béton dans leur ensemble… C’est scientifiquement absurde et surtout très loin de rendre compte de la réalité.
Lorsque j’écris l'hypothèse que TOUT le béton a été fracturé en particules de 100 µm, je suis donc extrêmement sévère dans mon choix.
Malgré cela, l'énergie potentielle est largement suffisante pour expliquer la pulvérisation du béton.
Ajout : quelques vues des décombres laissant apparaître un béton fracturé et non pulvérisé...
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